Gérald Darmanin récidive. Après avoir pollué l’été 2020 en lançant une polémique nauséabonde sur « l’ensauvagement » d’une « partie » de la société française, le ministre de l’Intérieur avait passé son mois de juillet 2021 à défendre la loi « séparatisme » à l’Assemblée nationale. Il a cette année annoncé, au beau milieu de la période estivale, une énième loi sur l’immigration. Son objectif : expulser toujours plus. « Le refus d’asile vaudra obligation de quitter le territoire français (OQTF) », a fait savoir l’hôte de Beauvau, qui veut aussi renforcer la double peine et imposer un examen de français avant l’octroi d’un titre long séjour.
Mais, à force de saturer l’espace médiatique en liant les questions migratoires et sécuritaires, le ministre se prend souvent les pieds dans le tapis. Dès le 24 juillet, il a ainsi annoncé l’expulsion d’un Algérien de 26 ans soupçonné d’avoir agressé des policiers à Lyon, sans se soucier du respect de la présomption d’innocence, qu’il a pourtant l’habitude de défendre mordicus. Problème : le suspect a été mis hors de cause par le parquet. Le ministre de l’Intérieur, qui a inauguré samedi un nouveau centre de rétention administrative à proximité de Lyon et en promet un autre en 2023, maintient tout de même sa volonté d’expulser l’ancien interpellé, sous prétexte que ce dernier serait « connu pour de nombreuses mises en cause : vol, violences, menace de mort sur personne dépositaire de l’autorité publique, détention de drogues, violences en réunion ».
Surfant sur l’émotion suscitée par l’agression de policiers dans le quartier de la Guillotière, Gérald Darmanin a affirmé sa volonté de faciliter l’expulsion d’étrangers condamnés par la justice. « Aujourd’hui, a-t-il déclaré, un étranger qui a commis des actes graves n’est pas expulsable dès lors qu’il remplit certaines conditions, comme une arrivée sur le territoire national avant l’âge de 13 ans. » Donc lorsqu’il était enfant. L’ancien sarkozyste pioche ici directement dans le programme du RN, au risque de diminuer toujours plus l’étanchéité qui existe encore entre la Macronie et l’extrême droite. La présidente du groupe RN à l’Assemblée, Marine Le Pen, a d’ailleurs répondu « cent fois oui » au projet de loi du ministre, indiquant qu’elle « signerait des deux mains » et voterait ce texte s’il arrivait devant les députés. Et pour cause : elle soutient de longue date l’expulsion des déboutés du droit d’asile, souhaite restreindre les recours possibles, et s’est toujours prononcée pour une double peine aggravée.
« un puits sans fond de démagogie et d’abjection »
Ne disposant que d’une majorité relative à l’Assemblée, la Macronie s’est dite persuadée qu’elle trouverait une « majorité absolue » sur ce sujet . Elle drague ici ouvertement LR et le RN, comptant sur les voix d’extrême droite pour faire adopter son texte. « Ce sont des effets d’annonce pour charmer le RN, tranche Stéphane Maugendre, avocat spécialisé en droit des étrangers et président honoraire de l’association Gisti. Il y a dans l’arsenal juridique suffisamment de moyens pour éloigner du territoire français un étranger qui a commis des délits ou des crimes. » Mais dans l’esprit de Gérald Darmanin, les étrangers sont bien souvent des délinquants responsables de tous les maux de la société, à qui il convient d’appliquer un traitement particulier. « J’assume une forme de double peine », a-t-il confirmé, le 26 juillet, faisant fi des combats associatifs menés depuis longtemps en faveur de son abolition.
« La double peine est cette peine d’un autre âge, a rappelé dans un communiqué la Cimade, qui consiste à asséner à une personne de nationalité étrangère une mesure d’expulsion, en plus de sa peine de prison. Chaque année, elle brise durablement des milliers de vies, le plus souvent pour des décennies. » L’association humaniste critique également le discours aux relents frontistes du ministre qui alimente « un flou inacceptable entre immigration et délinquance ». « Toutes les personnes étrangères sont visées sans distinction, sans prendre la peine de considérer autre chose que le parcours pénal (ou la seule accusation) dont elles sont l’objet », peut-on lire.
« C’est une atteinte aux droits fondamentaux, une atteinte à la Convention européenne des droits de l’homme, un puits sans fond de démagogie et d’abjection », dénonce Elsa Faucillon. Pour la députée PCF des Hauts-de-Seine, la proposition du ministère de l’Intérieur fait du RN un parti politique comme les autres : « Cette stratégie est profondément dangereuse. Le RN est aidé par la Macronie dans sa stratégie de normalisation. Qui peut dire aujourd’hui qu’ils n’accéderont pas au pouvoir ? La Nupes a fort à faire pour dynamiser l’espoir. »