Marine Le Pen peut sourire. Alors que la première session parlementaire de cette législature doit se clore ce week-end, la cheffe de file du Rassemblement national (RN) a tiré mardi, en conférence de presse, un bilan inespéré de ces sept dernières semaines. La normalisation de son extrême droite s’est en effet accélérée comme jamais dans la Ve République, et voici le RN et ses 89 députés installés, avec l’appui de la majorité, tel un parti comme les autres, susceptible de gouverner prochainement. « Notre famille politique commence à être représentée à sa juste place. Nous avons pu placer nos députés à quasiment toutes les fonctions que nos institutions réservent aux oppositions », s’est félicitée Marine Le Pen. Grâce aux petits arrangements avec Renaissance (ex-LaREM) et « Les Républicains » (LR), le RN a obtenu deux postes de vice-présidents (Sébastien Chenu et Hélène Laporte). Avec la légitimité ainsi que les moyens financiers et humains qui vont avec.
Et le jeu de nominations ne s’est pas arrêté à ces postes. La semaine dernière, Bruno Bilde a été élu par ses pairs à la Cour de justice de la République et Frank Giletti désigné rapporteur du budget de l’armée de l’air. Et que dire de la nomination jeudi, par la présidente macroniste de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, de Caroline Colombier à la délégation parlementaire au renseignement ? Cette militante historique du FN devient ainsi la seule députée d’opposition à siéger dans cette instance dont le travail est couvert par le secret de la défense nationale. « Jamais depuis 1944, l’extrême droite n’avait eu accès à des informations et données classées secret-défense », souligne l’écologiste Benjamin Lucas. Au sein de la Nupes, on s’inquiète de voir le RN accéder à cette délégation, surtout dans le contexte actuel de risques croissants de terrorisme d’extrême droite et de guerre en Ukraine. Il y a trois mois pourtant, lors du débat de l’entre-deux-tours, Emmanuel Macron alertait sur le danger de voir Marine Le Pen accéder au pouvoir en l’accusant de « dépendre du pouvoir russe »…
À mots couverts, la Macronie assume la légitimité qu’elle accorde un peu plus chaque semaine à l’extrême droite : « Q u’aurait-on dit si la classe politique avait nié les scores historiques du RN en l’ostracisant à l’Assemblée ? » justifie un parlementaire Renaissance. « Ce ne sont pas des députés comme les autres, mais des adversaires de la République qu’il faut combattre comme tels », répond de son côté Antoine Léaument. L’insoumis cite ainsi le discours du RN José Gonzalez rendant hommage à l’Algérie française lors de la séance inaugurale ou « des députés qui défendent Napoléon et expliquent que l’Empire, c’était mieux que la République ».
Dans leur quête de légitimité, les députés RN ont par ailleurs adopté la « stratégie de la cravate ». Bien habillés, ils seraient respectables et peuvent alors se permettre de souligner la « désinvolture » de certains députés de gauche qualifiés de « zadistes ». « Ce sont des polémiques pour faire oublier leurs votes de collusion avec le gouvernement », estime Antoine Léaument.
Mardi, Marine Le Pen s’est défendue de telles accusations : « Nous n’avons qu’u ne seule boussole, l’intérêt de la France et des Français, en particulier des plus modestes, nos votes l’ont illustré. » Vérifions avec les mesures du gouvernement sur le pouvoir d’achat et les amendements déposés par les oppositions. Augmenter le Smic, bloquer les prix des produits de première nécessité, geler les loyers ? Pour le RN, c’est non. Supprimer la redevance, monétiser les RTT, augmenter les primes et les exonérations des cotisations patronales plutôt que les salaires ? Pour le RN, c’est oui. Pour Fabien Roussel, ces votes constituent « une honte pour le RN, qui se présente comme défenseur des classes populaires », le secrétaire national du PCF dénonçant « une logique d’accompagnement de la Macronie ».
Mais si l’ampleur du groupe RN devient révélatrice de son imposture sociale, ses électeurs, notamment dans les classes populaires, en seront-ils pour autant vaccinés ? « Je ne suis pas certaine que ces votes aient une grande influence sur leurs électeurs, sans doute plus sensible s à la communication de Le Pen, nuance l’historienne Ludivine Bantigny, coautrice de l’essai Face à la menace fasciste (Textuel, 2021). Si l’extrême droite et sa vision très libérale de l’économie se révèlent publiquement, le parti devient surtout plus puissant politiquement et fait en sorte de se montrer parfaitement légitime dans le système. » Une légitimation qui devrait se poursuivre à la rentrée. Avec, au programme, un texte sur l’immigration du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui a tout d’une perche tendue aux députés RN.