Deux ans d’âpres négociations, de recherche de compromis et d’échanges animés ont fini par porter leurs fruits. Après avoir obtenu le feu vert du Sénat et de la Chambre des Représentants la semaine passée, le Chips and Science Act n’attend désormais plus que la signature du président américain Joe Biden pour entrer en vigueur.
Si la route a été longue pour permettre à cette loi de voir le jour, le résultat est tout sauf négligeable, et marque le retour en grande pompe d’une politique industrielle volontariste aux États-Unis. 280 milliards vont être investis, dont 52,7 milliards qui seront consacrés à soutenir la production de semi-conducteurs sur le sol américain et la recherche sur cette technologie à l’aide de subventions. 24 milliards supplémentaires seront dépensés en incitations fiscales dans ce même objectif. Le reste des 280 milliards doit être investi dans la recherche autour des technologies critiques, le développement des énergies propres, la physique nucléaire, et pour permettre à la NASA de préparer de futures missions sur la Lune et Mars.
Les usines de semi-conducteurs poussent déjà comme des champignons
Les effets de la loi se sont déjà fait ressentir avant même qu’elle n’entre en application, puisque plusieurs fabricants de semiconducteurs, dont Intel, Taïwan Semiconductor Manufacturing Co. (TSMC) et GlobalFoundries ont commencé à construire des fonderies aux États-Unis en escomptant bénéficier des subventions une fois la loi votée.
Le directeur-général d’Intel, Pat Gelsinger, en poste depuis janvier 2021, a fait de cet objectif l’une de ses priorités. Après avoir annoncé son intention d’investir 20 milliards dans deux usines de production en Arizona l’an passé, l’entreprise a récemment doublé la mise avec un investissement similaire consacré à l’ouverture de deux autres usines dans l’Ohio, au cœur de la Rust Belt.
« La pandémie a montré que l’industrie était aujourd’hui beaucoup trop concentrée d’un point de vue géographique (80% des puces utilisées dans le monde sont produites en Asie), avec les risques que cela entraîne. Nous voulons une industrie mondiale qui soit plus résiliente, et nous pensons que le meilleur moyen d’y parvenir est de construire de solides industries locales, pour que les capacités de production soient mieux distribuées », confiait-il récemment à La Tribune.
C’est également sur l’Arizona que le géant taiwanais TSMC a jeté son dévolu pour construire sa première usine de production de semi-conducteurs sur le sol américain, dans laquelle il a investi douze milliards de dollars. GlobalFoundries, un autre géant américain du secteur, va de son côté débourser entre 6 et 8 milliards pour installer une nouvelle usine dans le comté de Saratoga, dans l’État de New York.
Un effort bipartisan pour contrer le dragon chinois
Au Sénat comme à la Chambre des représentants, la loi a reçu le soutien de plusieurs élus républicains, dont le chef de la minorité républicaine au Sénat Mitch McConnell. Une entente bipartisane plutôt rare dans un paysage politique américain très divisé. S’ils sont aux antipodes l’un de l’autre sur les affaires internes au pays, les deux partis tombent toutefois beaucoup plus facilement d’accord lorsqu’il s’agit de politique extérieure.
Or, la volonté de relocaliser la production de semi-conducteurs sur le sol national est principalement motivée par la montée en puissance de la Chine et le risque d’une invasion de Taïwan par l’Empire du Milieu. « Il n’est pas exagéré de dire que les semiconducteurs sont l’alpha et l’oméga de notre compétition technologique avec la Chine », a ainsi affirmé fin juillet la numéro 2 du Pentagon, Kathleen Hicks.
Les États-Unis maintiennent une position dominante dans la conception de semi-conducteurs haut de gamme, grâce à des géants comme Intel, Qualcomm et Nvidia. En revanche, pour ce qui est de produire physiquement des puces, le pays a vu sa position s’affaiblir au profit de l’Asie du Sud-Est : seuls 12% des microprocesseurs mondiaux sont fabriqués aux États-Unis, contre 37% en 1990. Un déclin que le Chips & Science Act ambitionne d’endiguer.
Ses défenseurs ont ainsi pointé les grandes politiques de subventions adoptées par les pays du Sud-Est asiatique, en particulier Taïwan et la Corée du Sud, qui leur ont permis de générer des champions nationaux, comme le taïwanais TSMC, qui fond à lui seul 60% des microprocesseurs employés dans le monde. Lors de sa récente visite à Taïwan, qui a fortement irrité les dirigeants chinois et conduit le pays à effectuer de grandes manœuvres militaires à proximité de l’île, la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi a pris soin de rencontrer les dirigeants de cette entreprise, que les États-Unis s’efforcent de convaincre de décentraliser sa production face aux menaces croissantes de la Chine. La Chine n’a jamais reconnu la souveraineté de Taïwan, et le président Xi Jinping a récemment promis la « réunification » avec l’île dans un de ses discours.
La dépendance de l’industrie à Taïwan inquiète tout le monde
« Il est capital de diminuer la dépendance de l’économie mondiale à Taïwan, qui se trouve actuellement sous la menace de la Chine. TSMC a ouvert la voie en construisant une fonderie à Phoenix, en Arizona. Ils souhaitent également augmenter leurs activités de production au Japon », affirme Russ Shaw, fondateur de Global Tech Advocates, un réseau international d’acteurs des nouvelles technologies.
« Si l’on ajoute le contexte de la pénurie, on comprend que les semi-conducteurs soient devenus une question stratégique pour les États-Unis, mais aussi le Royaume-Uni et l’Europe. Les États-Unis ont rapidement su mobiliser les secteurs publics et privés, avec Samsung qui a annoncé la construction d’une nouvelle usine au Texas, Intel qui investit dans l’Ohio, et désormais le Chips & Science Act qui est en passe d’être signé. L’Union européenne et le Royaume-Uni mettent en place des efforts similaires.
Tout cela fait partie d’une importante stratégie à long terme que, je l’espère, ces pays vont maintenir. Dans un contexte géopolitique turbulent, nous devons nous assurer qu’il existe un environnement compétitif pour minimiser les risques. Concentrer la production dans un seul pays n’est pas soutenable. »