A trois mois du soixantième anniversaire du traité de l’Elysée, qui a scellé la réconciliation entre la France et l’Allemagne, tout en jetant les bases de la coopération entre les deux pays, les relations bilatérales sont au point bas. Emmanuel Macron n’a pas encore trouvé en la personne du chancelier Olaf Scholz le partenaire qu’il appelait de ses vœux, après le départ d’Angela Merkel, qui était à l’origine, avec lui, du plan de relance européen. Les deux principaux moteurs de l’Union européenne (UE) donnent même le sentiment de ne plus tirer dans le même sens. Ce n’est pas seulement la solidité du couple franco-allemand qui est en jeu, mais aussi son rôle structurant au sein du projet européen, qui est menacé d’affaiblissement.
Ces dissensions ont des causes objectives. L’invasion russe de l’Ukraine a fait voler en éclats les certitudes allemandes sur lesquelles le pays avait bâti sa prospérité. Entre la fin de l’accès à une énergie peu chère en provenance de Russie et la remise en cause de la paix en Europe, l’Allemagne doit réinventer son modèle économique, tout en improvisant un rôle géopolitique auquel elle avait renoncé après la capitulation de 1945. Il s’agit d’un véritable séisme, qui ne pouvait que rebattre profondément les cartes de la relation avec la France.
De fait, les sujets de discorde se sont accumulés ces dernières semaines, poussant au report inopiné du conseil des ministres franco-allemand prévu le 26 octobre. Dans la défense, plusieurs projets communs font du surplace, qu’il s’agisse de l’avion du futur ou de la prochaine génération de chars. Le projet de bouclier antimissiles conduit par l’Allemagne au sein d’un groupe de 14 pays, sans la France, qui mène le sien propre, a tendu encore un peu plus les relations.
Convergences possibles
Dans l’énergie, Berlin bloque sur le principe d’un plafonnement du prix du gaz poussé par la France, tandis que Paris ne veut pas entendre parler d’un projet de gazoduc reliant l’Espagne au reste de l’Europe pour alimenter l’industrie allemande. Sur le plan économique, la France n’a pas apprécié que le chancelier allemand dégaine sans prévenir un gigantesque plan de soutien à son économie de 200 milliards d’euros, interprété comme une remise en question des principes de concurrence au sein de l’UE. Même le rythme de la construction européenne fait l’objet de débats. Quand Berlin défend un élargissement vers l’est, Paris plaide pour un approfondissement de l’intégration, sans craindre une Europe à plusieurs vitesses.
Ces divergences de vue arrivent au pire moment, alors que Vladimir Poutine teste la solidarité européenne et que le leadership franco-allemand est contesté au sein des Vingt-Sept. Les pays baltes et la Pologne reprochent à leurs deux puissants partenaires leur manque de lucidité et leur modération sur la menace russe, malgré les avertissements qu’ils leur avaient adressés. La brouille au sein du tandem contribue à saper sa crédibilité et sa légitimité pour donner le ton de la politique européenne.
Il y a urgence à remettre à plat la relation franco-allemande, quitte à se dire les choses qui fâchent. Emmanuel Macron et Olaf Scholz devaient s’y employer, mercredi 26 octobre, lors d’un déjeuner à l’Elysée. En dépit des tensions du moment, qui pourraient mettre un certain temps à se résorber, les obstacles ne sont pas infranchissables. Le discours du chancelier allemand prononcé à Prague en août avait suscité l’espoir en entrant en résonance avec plusieurs points abordés par Emmanuel Macron quatre ans plus tôt à la Sorbonne. C’est le moment de se concentrer sur les convergences possibles pour tenter de relancer une dynamique sans laquelle l’UE risque de se déliter.
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