2023, l’année du chamboulement dans le streaming vidéo (Netflix, Canal+, OCS, Disney+…)

2.024. C’est le nombre -record- de programmes originaux (dont près de 900 séries, le reste étant des émissions de téléréalité, divertissement ou documentaires) qui auront été diffusés entre le 1er janvier et le 31 décembre 2022 à la télévision américaine, d’après le décompte du média spécialisé américain Variety. Une augmentation de 7% par rapport à 2021 et de… 63% (!) en dix ans. La raison ? L’explosion des budgets alloués aux contenus originaux par les plateformes de streaming comme Netflix, Disney+, HBO Max, Hulu, Paramount+ ou encore Peacock. Ces nouveaux rois de la télévision sont engagés depuis deux ans dans une course à l’abonné qui les pousse à dépenser des milliards de dollars (18 milliards pour Netflix seul, par exemple) pour se différencier, dans un paysage devenu extrêmement concurrentiel.

Mais la fête semble finie. 2022 restera vraisemblablement comme l’année du “peak TV” (le pic de la télévision), c’est-à-dire celle où il y aura eu le plus de contenus dans l’histoire de la télévision. Car, alors qu’on assistait à une extension de l’offre, celle-ci a déjà commencé à se contracter, comme en témoigne la fusion entre les géants Warner Media (HBO) et Discovery pour former le groupe Warner Bros. Discovery, avec une seule plateforme au lieu de deux dès l’an prochain. Surtout, le secteur semble enfin arrivé à maturité en 2022. Autrefois un usage naissant, la SVoD (vidéo à la demande sur abonnement) est désormais devenue la norme aux Etats-Unis, et quasiment en France où Netflix dépasse à lui seul les 10 millions d’abonnés et toucherait plus de 15 millions de personnes en comptant le partage des comptes.

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La crise de Netflix chamboule l’ensemble de l’industrie

Après la frénésie liée au Covid et l’arrivée d’une pléthore de nouveaux services depuis 2019, le secteur du streaming est entré en 2022 dans une nouvelle ère. Pour la première fois de son histoire, Netflix a vécu une panne de croissance. Le numéro un mondial du secteur -avec 223 millions d’abonnés au troisième trimestre-, a même enchaîné deux trimestres consécutifs de baisse, les deux premiers de l’année.

Mais la crise de Netflix a touché par ricochet tout le secteur. Car tout d’un coup, le marché a pris conscience de l’impasse économique de dépenser quasiment sans compter pour recruter des abonnés. La valorisation de Netflix a dégringolé de moitié depuis le 1er janvier, et celle du nouveau groupe Warner Bros. Discovery, massivement endetté à cause de la fusion, a plongé de 64%. Avec un churn -volatilité des abonnés qui passent d’un service à un autre- plus élevé que jamais, les plateformes ont réalisé que les consommateurs ne peuvent pas souscrire chez tout le monde, et préfèrent butiner quelques mois chez l’un puis quelques mois chez l’autre. Surtout dans le contexte d’une forte inflation qui pousse les ménages à sabrer dans le budget alloué à la culture et aux loisirs.

Tous les acteurs du streaming ont donc remis en question leur modèle économique. Pour attirer les abonnés, Netflix avait imposé le binge watching -la possibilité de regarder autant d’épisodes qu’on veut grâce à la diffusion d’un coup de toute la saison plutôt qu’un épisode par semaine. La pratique était devenue une norme pour ses concurrents également, à commencer par Amazon Prime Video, Hulu et Disney+, et l’une des raisons du succès des plateformes vis-à-vis de la télévision traditionnelle. Netflix avait aussi rendu l’expérience utilisateur d’une fluidité parfaite en remplaçant la diffusion linéaire et les publicités par un abonnement qui donne la liberté de regarder ses programmes sans aucune contrainte.

Mais 2022 a montré que ce modèle n’est plus tenable. La publicité, qui était déjà proposée en contrepartie d’un abonnement moins cher par certains services de SVoD (les récents HBO Max et Peacock, ou encore Hulu) est arrivée pour secourir Netflix et Disney+ également, respectivement en novembre et décembre 2022. Pour compléter les revenus issus de l’abonnement, qui ne suffisent pas à combler les coûts, les plateformes proposent donc dans leur panoplie d’offres un service moins cher mais dégradé, avec entre 3 et 4 minutes de publicités par heure.

Le grand retour de la publicité s’accompagne aussi du développement des services dits FAST pour Free Ad-supported TV, ou service de vidéo à la demande sans abonnement mais avec publicités. A la différence d’un Netflix avec pub ou d’un Disney+ avec pub, pas besoin d’avoir un compte pour regarder un programme. Il suffit d’aller sur la chaîne et de suivre ce qui y est diffusé, comme à la télévision traditionnelle, ou alors de piocher dans la bibliothèque de contenus, comme sur Netflix. L’avantage : c’est gratuit. L’inconvénient : il y a beaucoup plus de publicités que sur les offres type Netflix avec pub. Ce modèle est en pleine expansion aux Etats-Unis grâce à l’essor des TV connectées : en novembre, les chaînes FAST ont pesé 1% du temps passé devant la télévision. Cela paraît peu, mais c’est en fait considérable si on prend en compte que Disney+ pèse 2% et HBOMax 1,3%. Les leaders de ce marché en pleine expansion sont PlutoTV (qui appartient au studio Paramount Pictures) ou encore Rakuten TV en Europe.

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Augmentation des prix généralisée et dégradation de la qualité du service

L’autre conséquence majeure, pour les consommateurs, du fait que les plateformes se mettent enfin à chercher la rentabilité et la maîtrise de leurs coûts, est l’augmentation des tarifs des abonnements. En France, l’offre à 8,99 euros de Disney+ est désormais celle de l’option avec publicités, tandis que l’offre de base a donc grimpé à 10,99 euros. Entre janvier et décembre 2022, OCS est passé de 9,99 euros à 10,99 euros par mois pour le forfait standard, AppleTV+ de 4,99 à 6,99 euros par mois, Salto de 6,99 à 7,99 euros par mois, et Amazon Prime Video de 4,99 à 6,99 euros par mois. Paramount +, lui, s’est lancé à 7,99 euros par mois. L’équation devient compliquée pour les consommateurs.

Il faut aussi noter une dégradation des services proposés par les plateformes. Par exemple, Netflix permet désormais de télécharger des contenus uniquement sur deux appareils du ménage, et limite le nombre de titres qu’il est possible de stocker, ce qui lui permet de réduire ses coûts d’hébergement cloud. Autre mesure d’économie : en quelques années, Netflix est passé de 4 à 2 comptes simultanés autorisés pour son forfait Standard à 13,49 euros. Concrètement, cela signifie que les membres d’une famille nombreuse qui souhaiteraient regarder trois programmes en même temps sur plusieurs appareils, devraient ainsi souscrire à l’offre Premium à 17,99 euros par mois pour continuer à le faire.

De même, pourquoi lâcher tous les épisodes d’une saison le même jour si une diffusion hebdomadaire peut retenir l’abonné huit ou dix semaines ? En 2022, toutes les plateformes issus des grands studios d’Hollywood (Disney+, Paramount+, Peacock qui appartient à NBCUniversal ou HBO Max qui appartient à Warner Bros. Discovery) n’ont plus hésité à rebasculer certaines séries en mode rendez-vous hebdomadaire. Du côté des acteurs issus du monde d’Internet, seul AppleTV+ a choisi, depuis son lancement fin 2019, la diffusion d’un épisode par semaine. Mais Netflix et Amazon Prime Video s’y mettent aussi. Ce dernier a diffusé sa série événement Les Anneaux de Pouvoir, issue de la saga Le Seigneur des Anneaux, au rythme hebdomadaire, ce qui était une première pour le streamer. De son côté, Netflix multiplie les saisons diffusées en deux ou trois salves d’épisodes plutôt qu’en une seule. Pure logique économique… mais rupture de la promesse initiale d’une expérience libre et sans contraintes.

Le partage des comptes entre amis interdit dès janvier 2023 pour Netflix… et ensuite d’autres ?

Enfin, Netflix a engagé en 2022 la chasse au partage des comptes avec des amis ou de la famille éloignée. Cette pratique, très répandue, permettrait d’après Netflix à 100 millions de personnes dans le monde de regarder ses programmes gratuitement. Un manque à gagner considérable pour la plateforme, mais qu’elle utilisait jusqu’à présent comme technique de soft power, pour gagner en notoriété, créer le buzz autour de ses programmes et s’implanter plus rapidement dans un pays.

Mais puisque Netflix a atteint un plafond d’utilisateurs cette année, cette pratique est désormais perçue comme un frein à sa croissance. Résultat : après des tests menés en Amérique latine consistant à proposer à ces spectateurs un abonnement moins cher (autour de 3 dollars/euros) pour éviter de leur couper l’accès au compte, Netflix va étendre cette nouvelle règle partout dès 2023. En interdisant le partage des comptes, la firme de Ted Sarandos espère engranger des millions d’abonnés supplémentaires qui l’aideront à croître régulièrement.

Pour l’heure, seul Netflix s’est engagé dans la voie de l’interdiction pure et simple du partage des comptes. Mais il faut s’attendre en 2023 ou 2024 à ce que d’autres plateformes mettent en place les mêmes restrictions, notamment les numéro 2 et 3 mondiaux, Amazon Prime Video (200 millions d’abonnés) et Disney+ (163 millions), quand ils jugeront qu’ils atteignent leurs limites en terme de croissance organique.

Le marché français attire de nouveaux géants américains

Dans l’Hexagone, le marché du streaming est dynamique. 2022 a été une année de consolidation pour les acteurs déjà implantés comme Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ et Canal+, qui ont vu leur nombre d’abonnés augmenter -Netflix a passé le cap des 10 millions en milieu d’année. Le marché tricolore est considéré comme mature et difficile à pénétrer, mais pas encore saturé comme aux Etats-Unis.

De fait, de nouveaux acteurs au catalogue appétissant et aux moyens colossaux tentent leur chance : Paramount+, le service de streaming du studio américain Paramount Pictures, déjà présent aux Etats-Unis depuis 2014, est arrivé à la conquête du marché tricolore le 1er décembre. Dans sa manche, des franchises à succès comme South ParkIndiana JonesLe ParrainTop Gun…Pour s’y faire une place, il mise sur sa propre application bien sûr, mais aussi sur un partenariat avec Canal+. Le Français intègre ainsi Paramount+ dans son “bundle”, son offre à 35,99 euros puis 40,99 euros par mois au bout d’un an, comprenant l’accès à Canal+ mais aussi à la plupart des services concurrents (Netflix, OCS, Disney+ et donc Paramount+).

Pour l’instant, seul Peacock, le service du vénérable studio NBCUniversal, lancé aux Etats-Unis en 2020, n’est pas encore parti à l’assaut du marché français. Mais la firme a toutefois lancé discrètement, en novembre, Universal+, un bouquet de chaînes numériques comprenant 13è Rue, E! ou Dreamworks, mais disponible seulement pour les abonnés des opérateurs Free et Bouygues Telecom, ainsi que via les channels d’Amazon Prime Video.

Canal+ sur le point d’avaler OCS (et Salto ?) pour rivaliser avec Netflix

Du côté des acteurs Français, l’année 2022 a été difficile pour OCS et Salto. Le premier a perdu son accord de distribution avec l’américain HBO, qui s’achève le 31 décembre. Depuis 10 ans, OCS était le diffuseur exclusif en France du catalogue culte de HBO (Game of Thrones, House of the Dragon, Succession, The white lotus, Veep…). Mais sa maison-mère, Warner Bros. Discovery, s’est engagée dans la fusion de ses deux services HBOMax et Discovery+, et attend que la nouvelle plateforme soit lancée aux Etats-Unis mi-2023 pour s’implanter dans un second temps en France, probablement fin 2023 ou début 2024.

Impossible donc de reconduire l’accord avec OCS, même pour un an, et tant pis pour les nombreuses séries HBO et HBOMax qui n’auront aucun diffuseur dans l’Hexagone en 2023. Un accord a bien été trouvé avec Amazon Prime Video pour diffuser une partie du catalogue HBOMax, mais l’immense majorité des séries HBO risque d’être introuvable dès janvier… Et on ne sait pas encore où seront diffusées, si elles le sont, les nouvelles saisons des séries actuelles et très populaires de HBO comme Succession ou House of the Dragon.

De fait, OCS perd une grande partie de son attractivité pour ses presque 3 millions d’abonnés. Cette situation, combinée au fait que la plateforme n’a jamais été rentable depuis sa création en 2008, a poussé Orange, qui en détient 66% des parts, à mettre le service en vente. Et c’est Canal+ qui pourrait le récupérer : le groupe de Vincent Bolloré, déjà actionnaire à hauteur de 33%, est entré en novembre en négociations exclusives en vue d’un rachat, qui comprendrait aussi Orange Studios, qui produit l’essentiel des séries originales d’OCS.

Enfin, l’autre Français, Salto, alliance entre TF1, M6 et France Télévisions, est aussi en venteMalgré ses 900.000 abonnés, la plateforme est considérée comme un échec par ses actionnaires, notamment par TF1 et M6 qui ont annoncé leur désengagement après leur fusion avortée. Là encore, Canal + serait sur les rangs pour l’avaler, tout comme Amazon. Qui raflera la mise ?

Dans ce paysage tricolore en profonde recomposition, Canal+ paraît en position de devenir un véritable géant, apte à rivaliser sérieusement avec Netflix, Amazon Prime Video et Disney+. Son positionnement unique sur le cinéma français, sa propre offre conséquente de séries originales, et demain peut-être, l’apport du catalogue et de l’expertise d’OCS et de Salto, pourraient en faire l’acteur français incontournable du streaming, en France et dans le monde.

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