Coupe du monde 2022 : « Cette équipe permet au Maroc de sortir d’une représentation anachronique, fantasmagorique ou orientaliste »

La photographe et plasticienne franco-marocaine Fatima Mazmouz, native de Casablanca, a fait de son corps, de sa vie, de sa culture berbère ou encore des mœurs de la société marocaine son champ d’enquête. Elle en fait des rituels et des séries. Pour le match France-Maroc, qu’elle regardera avec sa famille et des amis en région parisienne, elle a imaginé un rituel en découpant les maillots des deux équipes nationales en deux pour les raccommoder ensemble.

Le foot tient une place importante dans vos créations. Pourquoi ?

J’ai beaucoup travaillé sur la question de la résistance à travers le corps colonial, et sur comment la colonialité habite aujourd’hui l’identité marocaine par la transmission et la résilience. L’idée était d’en faire prendre conscience dans le domaine du football. La question s’est posée au Maroc avec la création des clubs de foot avant l’indépendance, et je voulais montrer comment elle resurgit aujourd’hui à travers une résistance plus économique, puisque ce sont surtout dans les quartiers défavorisés que l’on voit l’expression d’appartenance aux clubs, notamment par la composition de nombreuses fresques.

En quoi consistait ce travail ?

A faire un inventaire de toutes ces fresques et à les tramer à travers la Super Oum, une femme enceinte qui est mon personnage fétiche, une icône de la résistance en fait, et dont le ventre se transforme en ballon. Ces questions du football m’intéressent, et ce qui se passe avec l’équipe du Maroc, c’est une capacité à créer un récit commun alors que la conscience d’une histoire linéaire fait défaut. Il y a soudain un socle qui vient cimenter la société et va chercher l’engagement là où le politique n’y arrive pas. Aujourd’hui, il y a un Maroc à deux vitesses, entre les Marocains qui sont plutôt issus des classes populaires récupérées par une gente religieuse, et les classes privilégiées, urbaines, qui vivent à l’heure mondialisée occidentale.

La montée en puissance de cette équipe du Maroc arrive à point nommé pour vous…

Oui, les difficultés sociales sont très concrètes, et on est passé par beaucoup de crises sociales, notamment sur le statut de la femme ou la question de l’avortement. Il y a très longtemps qu’on n’offre plus de rêves, qu’on n’a plus d’images fortes. Et, d’un coup, on laisse de côté nos différends et on a le sentiment très fort d’appartenir à un pays. Le football offre un rassemblement, une plate-forme où l’on peut tous exister dans notre diversité, avec la possibilité de faire corps, d’avoir un référent culturel commun, ce qui n’était plus le cas depuis longtemps.

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