Menaces sur la démocratie brésilienne

Presque deux ans jour pour jour après l’assaut du Capitole, à Washington, les symboles de la démocratie brésilienne ont été à leur tour abîmés par des hordes refusant le verdict des urnes. Comme aux Etats-Unis, c’est bien une tentative de coup d’Etat qui s’est déroulée dans la capitale brésilienne, livrée au chaos jusqu’à ce que les forces de police rétablissent l’ordre. Un état de fait inquiétant pour la jeune démocratie, née il y a trente-huit ans sur les décombres d’une dictature militaire.

Cette attaque était, hélas, prévisible. La prétention des populistes à s’arroger le droit exclusif de parler au nom d’un peuple largement fantasmé les rend incapables de respecter les règles qui garantissent le bon fonctionnement d’une démocratie, à commencer par le transfert pacifique du pouvoir dans le cadre d’une alternance.

Ce populisme de ventriloques est doublement un mépris du peuple puisqu’il repose sur la manipulation cynique de militants chauffés à blanc par des réseaux sociaux complaisants. Entretenir ces derniers dans les vérités alternatives du complotisme, et dans la haine d’élites jugées coupables de tous les maux, a conduit en toute connaissance de cause vers l’assaut de Brasilia, une semaine seulement après la prestation de serment de Luiz Inacio Lula da Silva.

Comme aux Etats-Unis le 6 janvier 2021, ce qui s’est passé au Brésil le 8 janvier n’a donc rien d’accidentel ou de fortuit. Les liens avérés entre les conseillers les plus radicaux de Donald Trump et l’entourage du président déchu, Jair Bolsonaro, renforcent les soupçons, même si ce grotesque embryon d’une Internationale de l’insurrection, résolument ancrée à l’extrême droite, accumule heureusement pour l’instant les revers.

Pas de demi-mesures

Ce 8 janvier, le sac du Congrès, de la Cour suprême et du palais présidentiel brésiliens – une énumération qui donne autant le vertige qu’une idée de l’ampleur de cette attaque – a donc répondu à un projet. Ses instigateurs doivent être découverts, poursuivis et sanctionnés. Le rôle du gouverneur de Brasilia, Ibaneis Rocha, suspendu de ses fonctions, doit être également éclairci, tout comme la passivité de certaines forces de police, suspectées d’éventuelles affinités avec les insurgés.

La responsabilité de l’ancien président brésilien, parti justement entretenir sa rancœur en Floride auprès de son mentor américain, avant la prise de pouvoir de son successeur, est engagée. Son incapacité à reconnaître clairement la défaite, sa tentation de trier parmi les résultats électoraux, entre ceux, nombreux, qui ont été favorables à son mouvement et celui qui a mis un terme à ses ambitions personnelles, a préparé le terrain à cette tentative de coup d’Etat. Il s’est encore un peu plus disqualifié par la médiocrité de sa réaction après les événements de Brasilia.

S’il faut retenir une leçon du précédent américain, c’est bien que l’on ne peut répondre à de tels affronts à la démocratie par des demi-mesures. Dans l’intérêt général. Aux Etats-Unis, l’incapacité du Parti républicain à prendre ses distances avec un trumpisme prisonnier de son déni de la défaite l’a ainsi privé de la victoire espérée lors des élections de mi-mandat.

La tâche du président Lula, contraint de composer avec la résilience d’un bolsonarisme majoritaire au Parlement et aux commandes de nombreux Etats brésiliens, s’annonçait déjà ardue. Le voilà désormais obligé de mener la contre-offensive au nom des valeurs de la démocratie.

Le Monde

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