En avril 2022, l’Américain Luke Iseman a rempli deux ballons gonflés à l’hélium avec un peu de dioxyde de soufre. Depuis sa caravane installée au Mexique, il les a relâchés dans le ciel dégagé, les laissant s’élever dans les airs. Le fondateur et PDG de l’entreprise Make Sunsets espère qu’ils sont parvenus dans la stratosphère, la région de l’atmosphère qui s’étend de 15 km à 50 km d’altitude, où ils auraient explosé et libéré des particules soufrées. De quoi réfléchir une partie des rayons du Soleil et provoquer un refroidissement de la Terre.
Si elle s’avérait réussie, il s’agirait de la première expérience grandeur nature, dans la stratosphère, de géo-ingénierie solaire, un ensemble très controversé de techniques visant à modifier de manière volontaire le climat de la Terre en vue d’atténuer le réchauffement climatique. L’essai, révélé fin décembre par la revue MIT Technology Review, a été largement condamné par la communauté scientifique, suscitant indignation et inquiétudes. Car l’action de Luke Iseman soulève de nombreux problèmes, tant d’ordre scientifique qu’éthique.
La start-up a réalisé son essai en dehors de tout cadre, sans consulter aucune autorité locale et sans supervision scientifique – de sorte que le gouvernement mexicain a indiqué qu’il allait interdire ces technologies. Ses ballons ne contenaient aucun instrument pour collecter des données et évaluer les effets de l’expérience, et n’ont pas été récupérés. L’entreprise cherche en outre à en tirer profit : elle vend des crédits carbone liés au refroidissement prétendument obtenu.
« Cette expérience, si tant est qu’elle ait fonctionné, serait insignifiante pour le climat étant donné les très faibles quantités de soufre utilisées, indique d’emblée le climatologue Olivier Boucher, directeur de recherche (CNRS) à l’Institut Pierre-Simon Laplace. Mais elle est grave d’un point de vue symbolique. » Nombre de scientifiques craignent qu’elle crée un dangereux précédent, et que des pays ou individus riches et puissants tentent, à l’avenir, de manipuler le climat de manière unilatérale alors que ces technologies ne sont ni matures ni encadrées. Ce vieux rêve technoscientifique, qui apparaît de moins en moins comme de la science-fiction, connaît un regain d’intérêt à mesure que la crise climatique s’aggrave. Alors que le monde se dirige vers un réchauffement catastrophique de 2,5 °C à la fin du siècle, le dépassement de 1,5 °C – limite inscrite dans l’accord de Paris – semble désormais inéluctable.
Pour ses promoteurs, la géo-ingénierie solaire permettrait de conserver des températures clémentes le temps que les pays parviennent à décarboner leurs économies et à s’adapter au dérèglement climatique. Une solution de dernier recours qui nécessiterait de toute urgence, plaident-ils, une recherche plus poussée et l’élaboration d’un cadre de gouvernance. A l’inverse, pour ses contempteurs, cette folie d’apprentis sorciers ne constituerait qu’un écran de fumée en ne s’attaquant qu’à une partie des symptômes mais pas aux causes du réchauffement – les émissions de gaz à effet de serre. Ces technologies risqueraient de repousser une véritable action et présenteraient de nombreux risques, pouvant virer au cauchemar.
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