Les campagnols des prairies sont des modèles d’attachement. Monogames tout au long de leur vie, logeant en couple, les partenaires partagent les tâches éducatives et ménagères, se protègent contre les agressions extérieures, se consolent en cas de coup dur. Une rareté parmi les mammifères. Tout le contraire de leurs cousins campagnols des montagnes, batifoleurs invétérés, se moquant de leurs petits comme d’une guigne. Voilà près de trente ans, des scientifiques ont montré que les deux espèces, extrêmement proches, différaient essentiellement par la densité de récepteurs à l’ocytocine, connue comme l’hormone de l’attachement, et à un autre neuropeptide, la vasopressine. Si bien que Microtus ochrogaster, le nom scientifique de l’espèce des prairies, est devenu le principal modèle animal pour l’étude du rôle de l’ocytocine, d’autant plus précieux que s’affirmait l’importance de la même hormone dans les relations sociales et affectives humaines.
Or, dans une étude publiée dans la revue Neuron, le 27 janvier, des chercheurs américains viennent troubler ce joli tableau. L’équipe conduite par Nirao Shah et Devanand Manoli, professeurs de psychiatrie respectivement à l’université de Stanford et à l’Université de Californie San Francisco (UCSF), a montré que nos doux rongeurs pouvaient former des liens affectifs même en l’absence de récepteurs à l’ocytocine. Une découverte inattendue et même « déconcertante », admet Nirao Shah.
Inactivation des gènes
Le programme de recherche poursuivait des buts essentiellement méthodologiques. Il s’agissait d’utiliser les ciseaux moléculaires Crispr-Cas9 pour inactiver des gènes non pas chez des souris ou des rats, pratique désormais courante, mais pour la première fois chez des campagnols. De nouveaux outils et nouveaux protocoles avaient été développés, les embryons avaient été isolés, modifiés génétiquement, puis réimplantés chez les mères. Les chercheurs espéraient donc retrouver les résultats observés par les méthodes médicamenteuses, à savoir qu’un campagnol sans ocytocine perdait ses liens d’attachement.
Et flop ! Ils ont constaté que les animaux ainsi modifiés continuaient de former des paires, que les femelles conduisaient leur grossesse à terme et que les couples prenaient soin des petits. Tout juste l’allaitement était-il partiellement altéré. « Je me souviens encore de notre stupeur, ajoute Devanand Manoli. Mais trois mutations différentes du récepteur de l’ocytocine réalisées dans trois laboratoires distincts aboutissaient au même résultat. Cela nous a convaincus. »
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