Le grand chantier du déploiement la fibre, dont beaucoup ont chanté les louanges, va-t-il finir en eau de boudin ? C’est ce que redoutent beaucoup d’acteurs de la filière des télécoms, des élus locaux, comme le gouvernement. Si le « plan France très haut débit », qui visait à apporter la fibre à 80% des Français d’ici à 2022, a plutôt constitué un succès, les nuages noirs s’accumulent sur sa finition. Au point que la promesse d’Emmanuel Macron de rendre cette technologie disponible pour tous les Français d’ici à 2025 semble aujourd’hui compromise.
Il faut dire que les problèmes se multiplient. L’Arcep, le régulateur des télécoms, s’inquiète que les Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free aient levé le pied sur le déploiement de la fibre dans certaines grandes agglomérations. Idem pour les villes moyennes : le gendarme des télécoms ne manque désormais pas une occasion de fustiger « le ralentissement » et « le retard » des travaux d’Orange. Dans les campagnes, c’est le coût des raccordements dits « complexes » des logements isolés, ou difficiles d’accès, qui pose problème.
La « résilience » des réseaux inquiète
L’accès à la fibre devient, en effet, crucial, dans la mesure où l’ancien réseau cuivre d’Orange, utilisé par tous les opérateurs pour apporter le téléphone et l’ADSL, doit être fermé en 2030. En outre, les inquiétudes vont crescendo sur la « résilience » des réseaux de fibre. Ces infrastructures, largement déployées par voie aérienne via des câbles suspendus à des pylônes, sont jugées fragiles, notamment dans les territoires qui essuient régulièrement des tempêtes et des inondations. Pour finir, l’empressement de la filière à déployer la fibre pour tenir ses engagements a débouché sur un festival de malfaçons et de raccordements ratés par des sous-traitants souvent mal rémunérés, qui suscitent l’ire de myriades de clients et élus locaux.
Sénateur de l’Ain (LR) et président de l’Avicca, une influente association regroupant les collectivités impliquées dans le numérique, Patrick Chaize tire la sonnette d’alarme. D’après lui, le chantier du déploiement de la fibre reste « une réussite inachevée ». « Nous n’avons pas totalement échoué, mais nous n’avons pas totalement réussi », a-t-il soupiré ce mardi, lors d’une conférence de presse au Sénat. Même constat pour Philippe Le Grand, le président d’InfraNum, la puissante fédération des industriels des télécoms, qui redoute « des désillusions » si les choses en restent là. Pour eux, la solution doit passer par un « good deal », soit un nouveau « pacte » pour achever le chantier de la fibre, et éviter une fracture numérique qui laisserait de nombreux Français sur la touche.
« Nous avons besoin d’une approche globale »
Patrick Chaize et Philippe Le Grand ont appelé, ce mardi, le gouvernement à s’associer à la filière des télécoms et aux collectivités pour régler tous les problèmes qui plombent l’achèvement du déploiement des réseaux. Ces travaux seraient, souhaitent-ils, matérialisés dans un grand projet de loi d’ici « trois à quatre mois ». « Nous avons besoin d’une approche globale », affirme Patrick Chaize, qui attend désormais la réponse de Jean-Noël Barrot, le ministre délégué en charge des Télécoms.
L’Avicca et InfraNum, dont tous les grands opérateurs nationaux sont membres, souhaitent que leur « good deal » repose sur au moins trois « piliers ». Le premier est la création d’un « fond de péréquation des réseaux optiques ». Celui-ci assurerait la « pérennité des réseaux », en finançant, par exemple, certains extensions ou renforcements, ou encore l’enfouissement de certaines infrastructures dans les zones soumises à des aléas climatiques. Ce fond serait abondé, suggèrent l’Avicca et InfraNum, à hauteur de « plusieurs centaines de millions d’euros » par la hausse attendue d’une fiscalité spécifique concernant les réseaux Internet fixe.
« Le ministre n’a pas été compris »
Le second pilier du « good deal » repose, lui, sur la mise en place d’une « structure nationale » dont l’objectif serait de financer « tous les raccordements », affirme Philippe Le Grand, « y compris les raccordements complexes ». La facture s’annonce salée. L’an dernier, InfraNum avait évalué leur coût à environ 3 milliards d’euros… Il reste à préciser qui investira dans cette « structure », et qui la pilotera… Philippe Le Grand évoque la possibilité que la Banque des territoires, qui a déjà beaucoup investi dans le déploiement de la fibre dans les campagnes, s’implique dans ce projet.
Pour leur « troisième pilier », l’Avicca et InfraNum militent pour « une adaptation des tarifs de fibre de gros dans les zones rurales ». En clair, les prix y seraient plus élevés que dans les villes afin de « contribuer à la péréquation » et de « garantir l’équilibre économique » de ces réseaux, gérés par les collectivités.
Le gouvernement va-t-il signer pour un tel « good deal » ? Pas si sûr. A vrai dire, Jean-Noël Barrot a récemment fait une proposition quelque peu différente. Pour boucler le chantier de la fibre, il a milité pour un « accord global » avec les opérateurs la semaine dernière, lors d’une audition au Sénat. L’idée serait de réformer une taxe sur les réseaux mobiles très critiquée par les Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free, en échange de leur engagement à terminer rapidement, et proprement, le déploiements des réseaux de fibre. Pas de quoi, cependant, inquiéter Patrick Chaize. « Je sais que [Jean-Noël Barrot] partage notre vision », affirme le sénateur. « Je pense que le ministre n’a pas été compris, ou s’est mal exprimé », a-t-il renchéri. La balle est, désormais, dans le camp du gouvernement.
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