Une charge des forces de l’ordre, une nasse, des interpellations, un jeu de pistes en fourgon de police, une journée à se tasser à plusieurs dans une cellule : c’est le sort qu’a connu, entre le jeudi 16 et le vendredi 17 mars, un attelage hétéroclite composé, entre autres, de plusieurs normaliens, d’un joggeur, de quelques passants, d’un ingénieur et de deux étudiants autrichiens en séjour touristique – parmi d’autres personnes interpellées en marge des incidents de la place de la Concorde, à Paris, quelques heures après l’annonce par la première ministre, Elisabeth Borne, du recours à l’article 49.3 pour l’adoption de la réforme des retraites.
Plusieurs de ces témoins, interrogés par Le Monde, ont fait le récit de leurs déboires, entre désarroi, colère, « sentiment d’injustice » et ironie, après avoir passé près de vingt-quatre heures en garde à vue – et, pour la quasi-totalité d’entre eux, sans qu’aucune charge ne soit retenue à leur encontre.
Charlène (son prénom a été modifié à sa demande), 24 ans, étudiante en master 2 de sociologie à l’Ecole normale supérieure, avait bien décidé, ce jour-là, de protester contre la décision du gouvernement mais, sitôt les premiers incidents survenus place de la Concorde en début de soirée, elle décide de quitter les lieux avec son petit ami pour ne pas se trouver mêlée « au grand bazar général ». Dans leur dos, une charge des CRS les pousse ; devant eux, d’autres policiers leur font face. Ils vont se retrouver « nassés », avec près d’une centaine d’autres personnes, dans une rue proche de la place.
« C’est de la pêche au chalut »
Obligés de s’asseoir, ils ne subissent « ni insultes ni attitude particulièrement hostile » des forces de l’ordre mais patientent longuement, avant d’apprendre qu’ils sont interpellés. Ils sont alors embarqués par petits groupes dans des fourgons, direction le commissariat du 15e arrondissement où, faute de place, ils sont « dispatchés » dans d’autres hôtels de police. Pour Charlène, ce sera celui du 7e arrondissement, où elle passe la nuit avant d’être auditionnée par un officier de police judiciaire (OPJ) qui la prévient : « Ça risque d’être long. » Elle restera près d’une journée en garde à vue puis sera libérée, sans aucune charge, dans la soirée du vendredi 17 mars. Plus chanceux, son petit ami, transféré au commissariat du 13e arrondissement, a été relâché le même jour à midi.
« C’est de la pêche au chalut, analyse Me Aïnoha Pascual, membre d’un collectif informel d’avocats qui assistent les manifestants depuis les premiers heurts survenus place de la Concorde. Il y a d’abord eu énormément de classements sans suite mais ça défère de plus en plus, on voit une véritable volonté de dissuader d’aller en manifestation. » Selon l’avocate, outre la récurrence de récits faisant état de plaquages au sol ou de balayettes à l’occasion des interpellations, la garde à vue s’accompagne systématiquement d’un véritable détournement de droit : lorsque les manifestants refusent la prise de leurs empreintes génétiques, ils se retrouvent automatiquement sous le coup d’un délit, alors même que l’infraction initiale susceptible de leur être reprochée ne tient plus.
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