Le nouveau rejet du RIP illustre le “retard français en matière de participation citoyenne”

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Face aux limites du référendum d’initiative partagée (RIP) à la française, des voix s’élèvent pour une refonte de cet outil pour qu’il devienne plus démocratique, si possible en prenant exemple sur ce qui se fait à l’étranger, et notamment en Suisse.

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Pour la deuxième fois en moins d’un mois, le Conseil constitutionnel a enterré, mercredi 3 mai, une demande de référendum d’initiative partagée (RIP) portant sur la réforme des retraites, illustrant la difficulté française à s’emparer de cet outil de démocratie participative.

Les critiques de la procédure du RIP à la française font d’ailleurs valoir que même avec la validation de la proposition de référendum par les “sages” de la rue Montpensier, l’initiative n’avait quasiment aucune chance d’aboutir à un référendum.

“Pour parvenir à l’organisation d’un référendum, c’est un parcours du combattant. Le RIP n’a pas été pensé pour être utilisé de façon fréquente, mais pour être utilisé de façon exceptionnelle. Les étapes à franchir sont trop nombreuses et trop difficiles. Par ailleurs, son champ d’application est trop restreint”, estime Marthe Fatin-Rouge Stéfanini, juriste spécialisée en droit comparé sur les questions de justice constitutionnelle et de démocratie directe et participative, directrice de recherche au CNRS.

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Pour être valide, la proposition de référendum d’initiative partagée doit ainsi être déposée par au moins un cinquième des membres du Parlement, soit au moins 185 députés et sénateurs. Puis, selon l’article 11 de la Constitution, le Conseil constitutionnel doit juger si la proposition de loi porte bien “sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent”.

En cas de feu vert, s’engage alors la troisième étape du RIP : le recueil, durant neuf mois, des signatures de soutien à cette proposition de loi d’au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, soit environ 4,8 millions de citoyens. Enfin, à l’issue de cette collecte, si aucune des deux chambres du Parlement ne s’est saisie durant six mois de la proposition de loi référendaire, le président de la République la soumet alors à référendum.

“La France doit arrêter de diaboliser la participation citoyenne”

Preuve de la complexité de la tâche : depuis la réforme constitutionnelle de 2008 instaurant le RIP et sa mise en application en 2015, seules cinq propositions de loi référendaires ont été déposées – dont les deux dernières à l’occasion de la réforme des retraites. Sur ces cinq tentatives, quatre ont été rejetées par le Conseil constitutionnel pour cause de “non-conformité”. Seule la proposition s’opposant à la privatisation d’Aéroports de Paris, en 2019, est parvenue jusqu’au recueil des signatures de citoyens, sans toutefois parvenir à en récolter suffisamment. La procédure s’était arrêtée le 26 mars 2020 avec 1 093 030 soutiens validés.

“Il y a clairement un retard français en matière de participation citoyenne, juge Marthe Fatin-Rouge Stéfanini. Celle-ci devrait être prévue sous une forme ou une autre depuis un moment. Que ce soit le référendum ou l’initiative populaire pour porter un texte, la France doit arrêter de diaboliser la participation citoyenne.”

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Les partisans de la demande de RIP sur la réforme des retraites partagent cet avis. “Nous constatons à regret que les règles actuelles du RIP limitent drastiquement la possibilité d’y recourir, et qu’il ne remplit pas son rôle de recours face à un pouvoir qui tient par tous les moyens à passer en force”, a déploré dans un communiqué l’alliance de gauche Nupes après le verdict de mercredi.

Également signataire, le président du groupe Liot à l’Assemblée nationale, Bertrand Pancher, a déposé dans le cadre de la niche parlementaire de son groupe prévue le 8 juin une proposition de loi “visant à faciliter le recours au référendum d’initiative partagée”. Celle-ci propose d’élargir le périmètre des référendums, d’abaisser le seuil des signatures de citoyens à 1 million et d’obliger le chef de l’État à organiser un référendum en cas de seuil atteint.

“L’idée, c’est de redonner la parole aux Français, affirme Bertrand Pancher. Nous avons un retard considérable. On voit bien que le RIP est pratiquement inutilisable en l’état actuel. Cela donne l’impression qu’une certaine élite se méfie du peuple. La simplification que nous proposons est dans l’esprit de la Ve République et conforme à la pratique qu’a eu le général de Gaulle du référendum. Elle permettra surtout de réoxygéner la démocratie française.”

L’exemple suisse

À l’étranger, beaucoup de pays disposent de procédures permettant aux citoyens de proposer un référendum, mais comme en France, celles-ci sont le plus souvent très encadrées, rendant leur application difficile. L’Italie, par exemple, permet le “référendum abrogatif d’initiative populaire” grâce à la collecte de seulement 500 000 signatures citoyennes, mais impose un quorum de participation de 50 % du total des inscrits sur les listes électorales qui a pour conséquence d’invalider la plupart des initiatives allant jusqu’au vote.

A contrario, le Liechtenstein, la Slovénie, l’Uruguay, certains États américains comme la Californie, et bien évidemment la Suisse font figures d’exemples. Nos voisins helvètes n’ont besoin que de 50 000 signatures, soit environ 1 % du corps électoral suisse, pour lancer un référendum sur l’annulation d’une loi votée au Parlement. Ils peuvent également initier un texte législatif en recueillant 100 000 soutiens citoyens.

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“Il n’y a pas de système idéal à l’étranger, mais de bonnes idées à prendre de part et d’autre, analyse Marthe Fatin-Rouge Stéfanini. Mais ce qu’il faut surtout retenir, c’est que la participation des citoyens permet de placer plus de propositions dans le débat public. Un référendum sert à cela : qu’une question soit débattue et que les parlementaires et le gouvernement soient plus attentifs à ce que souhaite l’opinion publique.”

Les parlementaires suisses ont ainsi pris l’habitude d’anticiper le risque d’un veto populaire, possible dans les 100 jours suivant la promulgation d’une loi, en procédant à de nombreuses consultations lors de l’élaboration de leurs lois. De telles pratiques en France auraient peut-être pu éviter la situation de blocage démocratique rencontrée avec la réforme des retraites.

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