Harcèlement scolaire : la nécessité d’un sursaut

Lucas, Lindsay. Il a fallu une suite de tragédies – le suicide de ces deux collégiens en l’espace de quelques mois – pour rappeler la gravité du fléau du harcèlement scolaire et l’insuffisance des moyens de lutte contre un phénomène terriblement aggravé par les réseaux sociaux. Le système scolaire français a trop longtemps ignoré, puis sous-estimé, une réalité ancienne et de grande ampleur : un élève sur dix, soit près de un million, est victime chaque année de harcèlement scolaire.

Il ne s’agit pas seulement de moqueries ou de bousculades, mais d’injures, de brimades où se manifestent le sexisme et l’homophobie, les phénomènes de meute et d’emprise. Des comportements violents, pas forcément visibles dans le cadre scolaire, qui peuvent se démultiplier dans le cadre désinhibé des réseaux sociaux, pour nourrir le désespoir et l’isolement des victimes.

Avec bien du retard sur les pays voisins, l’éducation nationale a commencé en 2019 à expérimenter dans des écoles et collèges un Programme de lutte contre le harcèlement à l’école (Phare) – généralisé à la rentrée 2022 –, qui consiste à former des enseignants et, pour les élèves, prévoit dix heures par an d’apprentissage des compétences émotionnelles et relationnelles propres à prévenir le harcèlement. Mais, de l’aveu même de ses promoteurs, l’appropriation du programme « s’avère très variable d’une académie à l’autre ».

Les enseignants, à qui l’on demande de remédier à de nombreux dysfonctionnements de la société et de sensibiliser leurs élèves à d’innombrables causes, se heurtent aussi à l’isolement des établissements par rapport aux familles. Or, celles-ci ont une responsabilité majeure, avec la distribution et le contrôle des usages des smartphones, dont la prolifération a produit des effets délétères.

Une « priorité absolue »

Face à l’« échec collectif » reconnu par le ministre de l’éducation nationale, Pap Ndiaye, après le suicide de Lindsay, 13 ans, collégienne à Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), la décision de la première ministre, Elisabeth Borne, d’ériger la lutte contre le harcèlement en « priorité absolue » à la prochaine rentrée sonne comme une alerte salutaire. Tout comme l’heure de sensibilisation à tous les collégiens annoncée dimanche 11 juin par M. Ndiaye.

A plus long terme, la désignation d’un « référent harcèlement » rémunéré dans chaque collège et lycée constitue une avancée. Mais le système éducatif doit aussi s’inspirer des expériences étrangères pour écouter les adolescents, recueillir leur sentiment sur la vie scolaire, leur faire prendre conscience des conséquences de leurs actes, et aussi respecter l’obligation d’éducation sexuelle.

Nécessaire, la mobilisation du monde enseignant doit se prolonger par celle de tous les acteurs – parents, soignants, policiers – mais aussi par la responsabilisation des plates-formes, qui, en délocalisant et amplifiant le harcèlement scolaire, le transforment parfois en arme mortelle. Comment justifier que des contenus haineux et diffamatoires, évidemment illégaux, dans les médias, prolifèrent impunément sur les réseaux sociaux ? Le Digital Services Act européen va permettre, à partir de la fin août, d’infliger des amendes aux géants du Net qui ne respectent pas leurs obligations de modération.

Alors que les phénomènes d’enfermement mental que provoquent ou aggravent certaines plates-formes constituent manifestement une question majeure de santé publique, mettre au point des formes de régulation efficaces et compatibles avec la liberté d’expression apparaît comme une priorité pour protéger les générations futures.

Le Monde

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