#metoo des armées : les soldates parlent, la Grande Muette esquive

« Quinze jours de cellule. J’ai beaucoup de mal à digérer que je vais être sanctionnée pour avoir osé prendre la parole. » La caporale Rose (toutes les personnes citées par leur prénom ont souhaité conserver leur anonymat), 24 ans, a dénoncé un viol, commis en mai 2022 par un supérieur. Elle nous écrit cette phrase le 30 avril, à peine sortie du bureau de son chef de corps, qui vient de lui annoncer la sentence. « C’est aberrant, de victime je suis devenue coupable. » Coupable d’avoir bu de l’alcool la nuit de son agression, Rose sera donc envoyée en « cellule, avec un toilette, des barreaux et une petite cour pour fumer ». Quinze jours de « trou », comme on dit dans le jargon militaire, pour non-respect du règlement intérieur.

Deux semaines auparavant, le 12 avril, le ministre des armées, Sébastien Lecornu, a pourtant eu des mots fermes. Confronté au #metoo des armées, il s’est engagé à écouter les femmes victimes : « Cette parole doit libérer les victimes, a-t-il martelé dans une tribune au Monde. Elle ne doit pas les condamner. » Pour évaluer « l’ensemble des mesures de prévention, de protection des victimes et de sanction des agresseurs », le ministre a missionné l’inspection générale des armées, qui doit rendre ses conclusions début juin.

Dans le régiment de Rose, le discours de M. Lecornu « est entré par une oreille et ressorti par l’autre », lâche Stéphane, un gradé. « L’injustice est toujours là, on ne la supporte plus », confie celui qui a encouragé la jeune caporale à dénoncer son agression. Rose a été sanctionnée, tout comme sa camarade, la caporale-cheffe Hélène, qui dit avoir été droguée et violée par le même militaire, quelques mois auparavant, en 2021. Elle a déposé plainte, en octobre 2023.

« Aujourd’hui c’est moi la fautive »

Comme Rose, Hélène, 34 ans, qui a été déployée au Mali et en Côte d’Ivoire, a été punie de sept jours de « cellule » pour avoir consommé de l’alcool et pénétré dans une chambre réservée aux hommes. Peu importe qu’elle ne se souvienne pas y être entrée – la caporale-cheffe n’a repris ses esprits qu’au matin. « Il y avait une autre militaire dans la chambre, c’est elle qui m’a raconté que, pendant la nuit, il avait sa tête entre mes jambes alors que j’étais inconsciente… Et aujourd’hui, c’est moi la fautive », raconte-t-elle.

Chiara, 27 ans, attend aujourd’hui son procès auprès de ses proches, en Corse, le 5 mai 2024.

Selon l’enquête disciplinaire consultée par Le Monde, l’agresseur présumé nie l’ensemble des faits. Le commandement, lui, considère que « tant que ces affaires ne seront pas traitées sur le plan judiciaire, il n’est pas possible de se prononcer sur d’éventuelles sanctions au sujet des crimes et délits évoqués ». Le militaire a été puni, mais uniquement pour la consommation d’alcool et le non-respect des règles de mixité en chambre : vingt jours d’arrêts, qu’il « effectuera dans sa chambre, comme il n’y a plus de places en cellule », explique Hélène. C’est à cet instant précis qu’elle « craque ». « Lui dans son lit tranquille et nous toutes au mitard ! »

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