Olivier Esteves, politiste : « Les musulmans qui quittent la France sont des individus surdiplômés, souvent conscientisés, à forte religiosité »

Avant la prière de midi de Jumuah (vendredi), à la mosquée Suleymaniye de Londres, le 10 février 2023.

Après avoir vu d’anciens étudiants musulmans prendre définitivement l’Eurostar en direction de Londres, les chercheurs Olivier Esteves, Alice Picard et Julien Talpin ont décidé de s’intéresser aux Français musulmans qui partent s’installer à l’étranger. Leur « enquête sur la diaspora française musulmane » vient de paraître sous le titre La France, tu l’aimes mais tu la quittes (Seuil, 320 pages, 23 euros). Dans un entretien au Monde, Olivier Esteves, agrégé d’anglais, spécialiste en cultures et sociétés anglophones à l’université de Lille, revient sur les principales leçons qu’il retire de l’enquête qu’il a codirigée.

Le travail que vous publiez porte sur les Français musulmans qui décident de partir vivre à l’étranger. Sait-on combien ils sont ?

Ils sont probablement des dizaines de milliers, mais nous ne pouvons pas apporter un chiffre précis.

D’une part, on ne sait pas exactement combien de Français vivent à l’étranger puisqu’une part importante d’entre eux ne se font pas enregistrer sur les listes consulaires.

D’autre part, il n’existe pas en France de statistiques religieuses : on ne sait donc pas combien de Français sont musulmans. La question du « combien » n’était de toute façon pas celle qui nous intéressait le plus. Ce que nous voulions comprendre, c’est « pourquoi » ces Français musulmans quittent leur pays.

Justement, pour quelles raisons décident-ils de s’installer à l’étranger ?

Il s’agit avant tout de fuir « l’islamophobie d’atmosphère ». Dans nos entretiens, les enquêtés évoquent très fréquemment les médias et les discours politiques hostiles à l’islam et aux musulmans. Ce climat s’est exacerbé à la suite des attentats de 2015 et a entraîné une nette accélération des départs.

Les discriminations subies personnellement, notamment sur le marché du travail, contribuent aussi à la décision du départ. Parmi les musulmans, certaines catégories subissent une stigmatisation spécialement dure et sont donc plus susceptibles de partir. C’est le cas en particulier des femmes qui portent le voile. C’est également le cas des convertis qui font brutalement, à l’adolescence ou à l’âge adulte, l’expérience de discriminations qu’ils n’avaient pas subies durant l’enfance.

Reste que de nombreuses personnes ne partent pas pour une raison unique. Outre la volonté d’échapper à l’islamophobie, des mobiles complémentaires de départ sont avancés. Certains enquêtés, très minoritaires, estiment qu’ils ne peuvent trouver un épanouissement religieux qu’en s’installant dans un pays musulman. D’autres, plus nombreux, partent également pour apprendre l’anglais, par goût de l’aventure ou bien pour saisir de nouvelles occasions professionnelles.

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