Kaïs Saïed, Boris Johnson, Volodymyr Zelensky, Narendra Modi, Vladimir Poutine, Abdelmadjid Tebboune… Comme chaque été passé au Fort de Brégançon, Emmanuel Macron enchaîne les entretiens téléphoniques avec ses homologues étrangers. L’Elysée communique sur ses appels, montrant un président à la tâche durant ses vacances estivales. Les visites dans le Var de Theresa May en 2018, Angela Merkel en 2020, ou encore la tenue une visioconférence sur le Liban en 2021 ont été largement médiatisés, durant le premier mandat.
Les vacances studieuses du chef de l’Etat sont l’occasion de rebondir sur les crises internationales en fonction du sujet brûlant du moment, comme l’Ukraine actuellement. Le 19 août, deux ans, jour pour jour, après avoir reçu Vladimir Poutine à Brégançon afin de préparer la réunion des dirigeants du G7, qui se tenait dans la foulée à Biarritz, Emmanuel Macron a téléphoné au président russe. Les deux dirigeants ne s’étaient plus parlé depuis le 28 mai, soit huit jours après la chute de Marioupol. A l’époque, Emmanuel Macron et Olaf Scholz avaient plaidé auprès de Vladimir Poutine pour la libération des prisonniers de guerre et le respect du droit humanitaire.
Mise en scène. « Le président Vladimir Poutine a donné son accord pour l’envoi d’une mission de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) dans la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijjia (Nldr : que les deux forces belligérantes s’accusent de bombarder) », s’est félicité l’Elysée, le 19 août. A lire comme un succès diplomatique.
Selon Rossiyskaya Gazeta, Vladimir Poutine a bien confirmé qu’il était prêt à aider les inspecteurs de l’AIEA. Mais le quotidien pro-gouvernemental russe insiste surtout sur le narratif du Kremlin : « Vladimir Poutine a souligné que le bombardement systématique du territoire de la centrale nucléaire par l’armée ukrainienne créait le danger d’une catastrophe à grande échelle pouvant entraîner une contamination radioactive de vastes territoires. » Le dirigeant russe a aussi invité les experts du Secrétariat de l’ONU et du Comité international de la Croix-Rouge au centre de détention provisoire d’Elenovka, où de nombreux prisonniers de guerre ukrainiens sont morts à la suite d’une attaque au missile par les forces armées d’Ukraine.
Peu après son entretien avec le dirigeant russe, Emmanuel Macron a dénoncé l’attaque brutale de la Russie.
L’Elysée ne manque une occasion de mettre en scène le bras de fer avec Vladimir Poutine. La présidence a même permis au producteur de Guy Lagache d’en filmer une séquence devenue culte dans le documentaire Un président, l’Europe et la Guerre, diffusé en juin sur France 2.
Le Kremlin doute de la capacité de manœuvre de son homologue à l’international mais n’a jamais rompu le canal de discussion
Chat et souris. A Moscou, l’activisme diplomatique de Macron est moqué par les thuriféraires du pouvoir qui s’amusent d’un chef de l’Etat français comptabilisant les heures passées à s’entretenir avec son homologue russe qui ne décroche pas toujours son combiné… Le 5 août dernier, le Kremlin avait même expliqué que les discussions n’étaient pour l’instant pas nécessaires avec un pays inamical.
Emmanuel Macron est, de facto, le principal interlocuteur inamical en Occident à avoir gardé le contact avec le chef du Kremlin au cours des derniers mois. La relation est particulièrement franche et à la limite du politiquement correct. « Le président russe le connaît depuis longtemps – cinq ans. Et cela compte dans les relations entre dirigeants », assurait récemment Tatiana Kastouéva-Jean, chercheuse spécialiste de la Russie à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Dès son arrivée au pouvoir, le président français a reçu Vladimir Poutine au Château de Versailles, en mai 2017. Le Kremlin doute de la capacité de manœuvre de son homologue à l’international mais n’a jamais rompu le canal de discussion même si l’on a le sentiment d’assister à un dialogue de sourds.
Pour l’ancien espion du KGB réfugié en France depuis 2001, Sergueï Jirnov, ces franches discussions restent positives, le président français étant la seule personne à pouvoir faire sortir Poutine de son bunker même si ce dernier refuse la plupart de ses demandes. Il doute néanmoins que le locataire de l’Elysée réussisse à civiliser le maître du Kremlin. « Emmanuel Macron continue à croire que l’on peut débattre avec Poutine, que l’on peut l’amadouer et lui proposer des portes de sortie. Vladimir Poutine joue, en fait, au chat avec la souris avec Emmanuel Macron, confiait l’ex espion à l’Opinion en mai dernier. Le tout est de savoir si c’est la version américaine Tom et Jerry où la souris est plus intelligente que le chat. »