Réforme des retraites : l’article 47.1, nouvelle arme du gouvernement ?

Les députés LFI ont dénoncé des « atteintes aux droits du Parlement ». Les écologistes ont pointé un « nouveau palier » franchi. Le patron des députés du Parti communiste français (PCF), André Chassaigne, a étrillé « une manœuvre grossière, digne d’ennemis de la démocratie ». Les qualificatifs de l’opposition ne manquent pas pour fustiger la manière dont le gouvernement entend présenter sa réforme des retraites à l’Assemblée.

Ce projet de loi, présenté en conseil des ministres lundi 23 janvier, va en réalité prendre la forme d’un projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificative pour 2023 (PLFSSR). Ce type de texte est soumis à des règles bien particulières et permet notamment au gouvernement d’utiliser l’article 47.1 de la Constitution. S’il est aujourd’hui méconnu du grand public, il permet notamment de limiter les débats au Parlement à 50 jours.

Dans le détail, la Constitution explique que « si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le gouvernement saisit le Sénat ». Le texte serait alors transmis au Sénatà majorité de droite – dans sa version initiale, avec toutefois des amendements si certains ont pu être adoptés. Les sénateurs disposeraient alors de 15 jours pour se prononcer.

Les deux chambres du Parlement disposeraient ensuite de 15 jours supplémentaires pour se mettre d’accord, sans quoi « les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance ». Cela ne s’est jamais produit.

Une procédure qui interroge

Si le gouvernement venait à user de cet article 47.1, il s’agirait d’une première. Mais rien que l’utilisation d’un budget rectificatif pour faire passer un texte d’une telle ampleur met la gauche dans tous ses états. Un budget rectificatif sert à modifier les prévisions de recettes et dépenses de l’année, pas à « imposer une réforme de fond » touchant l’âge de départ à la retraite, s’indigne Mathilde Panot, cheffe de file du groupe LFI.

« L’essentiel des mesures a un impact, une conséquence sur les comptes de la Sécurité sociale », a justifié le ministre du Travail, Olivier Dussopt.

Selon Le Canard enchaîné, le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, a dit sa vigilance, citant en particulier la création d’un « index » pour mesurer l’emploi des séniors : « Tout ce qui est hors champ financier peut être considéré comme un cavalier budgétaire » et censuré.

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20 jours pour examiner le projet de loi à l’Assemblée

Surtout, ce calendrier resserré est perçu par la gauche comme une « entrave à la liberté des parlementaires ». À compter du week-end prochain, l’Assemblée nationale va disposer de vingt jours pour examiner les articles du projet de loi en première lecture. La commission des Affaires sociales va s’y atteler à partir du 30 janvier. Puis le texte passera dans l’hémicycle le 6 février, et jusqu’au 17 à minuit au maximum. Un temps « très largement supérieur à la plupart des débats parlementaires », a fait valoir Olivier Dussopt.

Même si les députés ne viennent pas à bout des milliers d’amendements annoncés et ne votent pas dans ce délai, le gouvernement pourra saisir le Sénat. « C’est assez habile pour éviter un 49.3 », perçu comme un passage en force, relève-t-on dans la majorité présidentielle. « Le 47.1 est plus efficace qu’un 49.3 » et a « un effet édulcoré, on voit moins que c’est violent démocratiquement », tacle un membre de la Nupes.

Après la pause parlementaire du 20 au 26 février, la Chambre haute examinera le texte adopté par l’Assemblée, ou à défaut le texte initial du gouvernement, modifié par les amendements que l’Assemblée aura eu le temps de voter et auxquels l’exécutif est favorable. Les sénateurs disposeront de 15 jours. Puis députés et sénateurs tenteront de s’accorder en commission mixte paritaire. S’il y a accord, celui-ci devra être validé par les deux chambres. Sinon le texte fera une dernière navette et l’Assemblée aura le dernier mot ou le gouvernement… Le Parlement doit se prononcer au total en 50 jours, soit d’ici le 26 mars à minuit.

Le recours au 49.3 toujours possible

Avant la date butoir, l’exécutif peut à tout moment devant l’Assemblée déclencher l’article 49.3 de la Constitution si les votes sur les amendements ne tournaient pas en sa faveur. Ou s’il pense ne pas réunir la majorité absolue pour le scrutin sur l’ensemble de la réforme, à cause de défections chez les macronistes ou LR. Le recours au 49.3 n’est pas limité sur les textes budgétaires et Élisabeth Borne a ainsi engagé sa responsabilité à dix reprises à l’automne sur les budgets 2023.

À LIRE AUSSICoignard – Retraites : face à Macron, des frondeurs toujours moins discretsLes constitutionnalistes sont partagés sur ce PLFSSR, les uns évoquant un « détournement de procédure », les autres un outil légitime mais « ambigu ». Dans une tribune au Monde, le professeur de droit public Benjamin Morel pointe un « risque démocratique » : que ce véhicule devienne « la norme des futures réformes sociales ».

Source: lepoint.fr

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