Cela ressemble de plus en plus à un chemin de croix. Les discussions sur le projet de loi de finances (PLF) et sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) révèlent chaque jour un peu plus les divisions au sein du “socle commun” censé soutenir le gouvernement de Michel Barnier.
Cette alliance mise sur pied courant septembre par Emmanuel Macron et Michel Barnier regroupe les députés Les Républicains, Renaissance, Horizons et MoDem. Avec 211 élus, ce “socle commun”, selon l’expression utilisée par Matignon, représente “la majorité relative la moins relative” à l’Assemblée nationale, affirmait le 1er octobre le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale. Mais celle-ci peine à rester unie pour appuyer le gouvernement, qui enchaîne les revers.
Dernier exemple en date : la suppression, mercredi 30 octobre, d’un article du PLFSS revenant sur les allègements de cotisations patronales. Alors que Michel Barnier espérait récupérer quatre milliards d’euros, l’article en question a été supprimé grâce au vote, notamment, de députés des groupes Droite républicaine, Ensemble pour la République et Horizons, tandis que les élus du MoDem et du Nouveau Front populaire (NFP) tentaient de le sauver. De quoi susciter, après le scrutin, ce commentaire acerbe du député communiste Stéphane Peu : “le Premier ministre doit se dire qu’avec des amis comme ça il n’a pas besoin d’ennemis”.
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“On dit depuis le début qu’il y a des choses qui ne vont pas sur le budget. Et puisque Michel Barnier s’est dit très ouvert sur les pistes d’amélioration, nous mettons sur la table nos propositions de manière à ce qu’il y ait beaucoup plus d’économies, moins de dépenses et moins d’impôts”, explique la députée Les Républicains Anne-Laure Blin, qui assure toutefois être “complètement derrière le gouvernement”.
Pour la députée du Maine-et-Loire, il ne faut voir dans les défaites du gouvernement sur ses propres textes budgétaires que des “ajustements” nécessaires et faisant partie d’un “long processus parlementaire, à la fois à l’Assemblée nationale et au Sénat”. Il n’y aurait rien d’alarmant selon elle.
“C’est ce qui arrive quand on impose une coalition qui n’en est pas une”
Pas sûr que Michel Barnier, pourtant issu du parti Les Républicains (LR), partage cet avis. Depuis le début de l’examen du budget 2025, le 21 octobre, l’exécutif doit essentiellement composer avec une majorité fantôme. Alors que l’alliance entre députés LR et macronistes représente une majorité relative de 211 sièges, devant les 192 sièges de la coalition du NFP, celle-ci est régulièrement mise en minorité depuis deux semaines.
La gauche a ainsi réussi à faire adopter plusieurs de ses amendements : taxe de 2 % sur le patrimoine supérieur à un milliard d’euros, triplement des taux de la contribution exceptionnelle des entreprises, rétablissement progressif de la CVAE ou encore taxe de 10 % sur les dividendes distribués par les entreprises du CAC40.
Lors de chacun de ces votes, seuls quelques députés du “socle commun” étaient présents dans l’hémicycle pour éviter le détricotage des textes budgétaires. Preuve de cet absentéisme, sur les 168 votes portant sur le PLF entre le 22 et le 26 octobre, 80 % des députés du groupe Ensemble pour la République n’ont tout simplement pas pris part aux scrutins, tout comme 81,4 % des députés MoDem, 85,2 % des députés Droite républicaine et 87,1 % des députés Horizons, selon une enquête du Monde publiée le 30 octobre.
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“C’est ce qui arrive quand on impose une coalition qui n’en est pas une, avec des groupes parlementaires totalement incapables de présenter des points de vue communs, que ce soit entre eux ou avec le gouvernement. Ces gens n’ont jamais négocié entre eux, ne savent pas très bien pourquoi ils sont là et ne sont liés que par leur volonté d’empêcher la gauche d’arriver au pouvoir”, tacle le député socialiste Olivier Faure, dont le camp, ironie de l’histoire, se retrouve parfois à défendre des articles du budget voulu par le gouvernement contre le “socle commun”.
Dans les couloirs du Palais Bourbon, les voix macronistes pour soutenir Michel Barnier sont difficiles à trouver. Sollicités, jeudi, les deux prédécesseurs de l’actuel Premier ministre, Gabriel Attal et Élisabeth Borne, n’ont pas souhaité répondre aux questions de France 24. Le premier rasait les murs de la salle des quatre colonnes en fuyant les journalistes. La seconde devait régler une urgence : trouver le groupe de visiteurs venu de sa circonscription du Calvados pour lui faire découvrir l’Assemblée nationale.
Le 49.3 présent dans toutes les têtes
Pour le député MoDem Richard Ramos, le peu d’entrain de ses collègues du “socle commun” à soutenir l’exécutif n’a rien de surprenant. “Depuis le départ, je dis que ce gouvernement est un yaourt dont la date limite de consommation est courte. Et ce n’est pas parce qu’on y ajoute des conservateurs comme Bruno Retailleau que ça s’améliore. Au contraire, les conservateurs c’est mauvais dans l’alimentation. Ce gouvernement est déséquilibré par rapport au socle central présent dans l’hémicycle. Il fonctionne avec un flotteur de droite, mais ils ont enlevé le flotteur de gauche et la coque centrale est en train de prendre l’eau.”
Dans ce contexte et alors que le PLF comme le PLFSS ne ressemblent plus du tout à ce que souhaitait initialement le gouvernement, chacun s’attend à voir Michel Barnier dégainer l’article 49.3 de la Constitution, qui permet de faire adopter un texte sans vote. Le Premier ministre y a été formellement autorisé lors du Conseil des ministres du 23 octobre.
Pour certains députés, cette perspective explique d’ailleurs le manque d’assiduité et de mobilisation au sein de la majorité relative, même si la porte-parole du gouvernement, Maud Bregeon, répète officiellement qu’il n’y a pas de volonté de l’utiliser.
“C’est psychologique : on sait tous que ça va se finir par un 49.3 à un moment donné, donc les troupes sont un peu démobilisées. Et comme la gauche fait voter des milliards de dépenses, alors qu’on sait que ce n’est pas possible, un certain nombre de députés se dit que ça ne sert à rien de venir en séance puisqu’on est sur un budget qui ne tient pas la route”, explique le député Les Républicains Philippe Juvin.
Une façon de minimiser les déconvenues subies par le gouvernement de Michel Barnier ? Son ancien collègue Aurélien Pradié, député du Lot qui siège désormais parmi les non-inscrits après avoir quitté en juin Les Républicains, y voit plutôt “la démonstration” que le socle commun n’existe pas. “Il y a un socle physique, mais absolument pas politique.”
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