Face à la crise climatique, le dialogue de sourds entre économistes et scientifiques

Les deux notes ont été publiées à quelques mois d’écart, chacune avec un certain retentissement. Dans l’une, des milliards d’euros à dépenser, dans l’autre un plan. Deux stratégies distinctes pour faire face à la crise climatique : la première, écrite par l’économiste Jean Pisani-Ferry pour France Stratégie, un organisme rattaché à Matignon, avance un chiffrage des investissements nécessaires en France pour décarboner l’économie – 70 milliards d’euros par an.

La seconde, un « plan de transformation » produit par le think tank The Shift Project, organisation militante fondée par des experts du climat, propose d’abord un inventaire des ressources naturelles disponibles, puis un plan pour en optimiser la consommation dans chaque secteur, en parlant « tonnes, watts, personnes et compétences ». Pas d’argent, qui « n’est jamais une donnée d’entrée du problème », ni « un facteur limitant », selon le document. « Au Shift, nous ne faisons pas de chiffrage en euros, résume Michel Lepetit, ingénieur pour l’organisation. La contrainte numéro un est physique. »

En matière climatique, économistes et scientifiques parlent, depuis trente ans, deux langues différentes. Les premiers, convaincus de la puissance du marché, abordent le sujet par les prix, seuls capables, à leurs yeux, de donner une valeur aux ressources naturelles et de modifier les comportements humains – lorsque les prix augmentent, les individus sont censés chercher des solutions de substitution. Les seconds, en bons physiciens, l’approchent généralement par les quantités, la finitude de la planète étant une contrainte indépassable, tandis que la monnaie se crée et s’imprime à volonté, comme les dernières crises économiques l’ont montré.

« A chaque fois qu’il faut gérer moins, il n’y a que deux options, par les prix ou par les quantités, résumait le fondateur du Shift Project, Jean-Marc Jancovici, sur France Inter, en novembre 2022. Le système par les quantités est plus équitable que celui dans lequel on gère par les prix. » En clair, les ménages aisés parviendront toujours à payer le prix d’une ressource rare, même s’il augmente sous l’effet d’une taxe carbone censée orienter leurs choix de consommateurs. La seule façon de rétablir une forme d’équité dans la transition, c’est de rationner les ressources en planifiant – en octroyant, par exemple, à chacun un nombre limité de voyages en avion à utiliser à l’échelle d’une vie, ainsi que le propose Jean-Marc Jancovici.

Virulentes critiques

Ces clivages se retrouvent dans la sphère politique, entre partisans de la décroissance, pour qui croissance et ressources sont fondamentalement corrélées, et défenseurs de la « croissance verte », pour qui il est possible de créer de la richesse tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre – l’Europe a réduit les siennes de 30 % depuis 1990. Chacune de ces communautés tend à juger l’autre éloignée des réalités, prisonnière de son propre cadre idéologique, voire irréaliste. « Les lieux de dialogue entre les disciplines ne sont pas si nombreux », regrette Jean Pisani-Ferry.

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