Mikheïl Saakachvili, ancien président de la Géorgie : « Tout ce que l’Ukraine subit aujourd’hui, nous l’avons vécu »

J’écris cette lettre de la cellule médicalisée de ma prison géorgienne, où je suis placé depuis plusieurs mois en raison de la dégradation rapide de mon état physique. Les médecins géorgiens indépendants, réunis dans un concilium par le Défenseur public, et les professionnels américains, suisses et britanniques sont unanimes : les traitements inhumains qui m’ont été infligés, couplés à un empoisonnement aux métaux lourds, ont eu raison de ma santé. Je m’adresse donc à vous tant que mon état me permet de réfléchir et d’écrire, car ma condition physique et mentale s’altère de jour en jour.

Je suis emprisonné dans le pays dont je fus le président et l’artisan du rapprochement avec l’Occident. Je suis emprisonné par un régime qui fait, par ma captivité, acte d’allégeance à Vladimir Poutine. A M. Poutine qui me considérait, avant que le président [ukrainien Volodymyr] Zelensky ne me détrône dans ce prestigieux classement, comme étant son pire ennemi de tout l’espace de l’ancienne URSS. La guerre d’agression du Kremlin contre l’Ukraine a obligé le régime géorgien à montrer son véritable visage : il apparaît désormais clairement souhaiter la victoire de Poutine et participe au contournement des sanctions économiques européennes contre la Russie, aux dires mêmes de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

Je suis emprisonné à la suite d’un simulacre de procès dont les décisions n’ont été saluées au niveau international que par le régime dictatorial et impérialiste du Kremlin. Tous les rapports des organisations internationales, des chancelleries diplomatiques occidentales, des résolutions du Parlement européen, montrent que la Géorgie, sous la domination de l’oligarque Bidzina Ivanichvili, qui s’est enrichi en Russie dans les années 1990, tourne le dos à la démocratie et à l’Etat de droit, ce qui, sur le plan géopolitique, ne peut se traduire que par l’arrêt du processus de rapprochement avec l’Europe et par la mise sous tutelle russe du pays. D’ailleurs, les ministres et les propagandistes de M. Poutine ne tarissent pas d’éloges au sujet du gouvernement géorgien et de sa « résistance » au diktat occidental. Alors que le monde entier considère le régime de Poutine comme un paria, la Géorgie de l’oligarque Bidzina Ivanichvili affirme souhaiter restaurer les liaisons aériennes avec Moscou.

Quand, en novembre 2003, mes amis, l’ensemble du peuple géorgien et moi-même avons accompli la « révolution des roses », le pays était un Etat failli, corrompu jusqu’à la moelle, dont la principale activité économique consistait à enlever les rares investisseurs étrangers qui osaient s’y aventurer et à exiger une rançon. En moins de neuf ans, nous avons su combattre la corruption et multiplier le budget de l’Etat par quatre. Nous avons engagé le pays sur la voie de l’intégration européenne et euroatlantique en négociant l’accord d’association avec l’UE et en devenant officiellement un pays aspirant à l’adhésion à l’OTAN.

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