Jean Pisani-Ferry : « La réforme des retraites aurait dû donner la priorité à l’augmentation de la durée de cotisation, au regard de l’équité comme de l’efficacité »

Encore une fois – la huitième depuis le début des années 1990 –, la France s’enflamme au sujet des retraites. Encore une fois, il est difficile de distinguer vraies controverses et postures convenues. Et encore une fois, la réforme a peu de chance de rétablir la confiance des Français en leur système de retraite. Le débat se cristallise d’abord sur la nécessité financière d’une réforme. Il oppose les syndicats et la gauche, pour lesquels la soutenabilité des retraites n’est pas en cause, et le gouvernement, selon lequel il y a au contraire urgence à redresser un système aujourd’hui en péril.

Cette controverse enserre la discussion dans une perspective trop étroite, parce qu’elle ignore que la France est aujourd’hui confrontée à un durcissement marqué de son équation budgétaire. Nous devons, simultanément, investir dans l’éducation, la santé, la transition écologique, la réindustrialisation et la défense, pour ne citer que les grandes priorités. Ce besoin d’accroître les dépenses publiques n’est pas propre à notre pays, mais il y est plus aigu que chez nos principaux voisins.

Or si elles ne sont pas nulles, nos marges de manœuvre pour un financement par l’endettement, l’impôt ou le redéploiement des dépenses sont trop étroites pour répondre aux besoins. C’est le problème économique central de ce quinquennat et ce sera aussi celui des suivants. La voie de sortie est donc d’abaisser le poids des dépenses de retraite dans le produit intérieur brut (PIB), et pour cela d’accroître le taux d’emploi des seniors. Les marges de manœuvre sur ce levier sont réelles : la part des 55-64 ans en emploi est certes en progression (56 % en 2021 contre 31 % en 2000), mais reste nettement inférieure à celle observée en Suède (77 %) ou en Allemagne (72 %). Augmenter la participation au marché du travail doit ainsi être la pierre angulaire de notre stratégie économique.

Repli des ambitions

Cela n’implique évidemment pas de distraire des cotisations aujourd’hui destinées au financement des retraites. Mais cela permet, à taux de prélèvement constant, de dégager des marges de manœuvre. Le gouvernement le sait très bien : Gabriel Attal, le ministre des comptes publics, a chiffré à 12 milliards les recettes supplémentaires attendues de la réforme à horizon 2030 (Le JDD, 8 janvier 2023). Mais il n’assume pas politiquement que c’est, au moins autant que l’équilibrage des comptes, une des motivations principales de la réforme.

Ce qui frappe ensuite, c’est le repli des ambitions de l’exécutif. Hier, il voulait changer les règles du jeu et construire un système universel ; aujourd’hui, il se borne à des mesures d’équilibre à un horizon de moins de dix ans. Or il faut le répéter : un système de retraite ne peut pas éliminer l’incertitude, mais il doit viser à la réduire autant que faire se peut. Les nouveaux entrants sur le marché du travail doivent avoir autant de visibilité que possible sur l’âge auquel ils le quitteront et sur la pension dont ils bénéficieront. C’est ce qui leur permettra d’effectuer des choix informés en matière, par exemple, d’épargne ou de formation.

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