Guerre en Ukraine : à Kherson, la cité des enfants cachés

Des soldats encagoulés surgissent dans la crypte d’une église, dans le réfectoire d’un foyer d’accueil ou au cœur d’un hôpital pédiatrique. Toujours la même scène, toujours les mêmes menaces. Et toujours la même question : « Où sont les enfants ? » Kherson, ville dans le sud de l’Ukraine, a vécu sous le contrôle des troupes de Moscou pendant neuf mois, de février à novembre 2022, et s’est retrouvée – comme beaucoup de territoires occupés – face à une guerre d’un autre type, qui ne se joue pas uniquement sur la ligne de front : la déportation d’enfants vers la Russie. Ces derniers « raflés » dans des structures ukrainiennes accueillant des mineurs fragiles, malades ou abandonnés.

« Les enfants étaient devenus l’obsession des Russes. Ils les cherchaient partout, ils disaient : “Ils sont à nous” », se souvient Inna Kholodnyak, directrice de l’hôpital pédiatrique de Kherson. Alors, en secret, des réseaux ont commencé à se former dans le huis clos d’institutions spécialisées, des « maquis » d’enfants cachés, disséminés dans la ville, sans contact les uns avec les autres.

Au foyer d’accueil de Stepanivka – c’est à la fois le nom de la commune et du foyer –, à la périphérie de Kherson, on peut suivre à la trace ces Petit Poucet égarés dans la guerre : l’une a oublié son bonnet rose sur une chaise, l’autre ses peluches sur un lit superposé. Fossettes, sourires graves de gamins aux familles fracassées, leurs photos décorent toujours les salles communes, couettes… Tous avaient été placés sur décision de justice, cinquante-deux mineurs âgés de 3 à 17 ans, dont les parents ne pouvaient assumer la charge.

Aujourd’hui, alors que la ville a été libérée, l’établissement est vide, une maison de brique chaulée de blanc, avec sa cour et son potager, que rien ne distingue des autres dans la rue, pas même un panneau sur la façade. La plupart des pensionnaires ont échappé aux enlèvements, grâce à un stratagème du personnel plein de malice et de courage. « Nous sommes des gens simples, tranquilles. On ne pensait pas faire quelque chose d’extraordinaire », raconte Oksana Koval, 49 ans, infirmière au centre. Maintenant seulement, la nuit, les dangers lui apparaissent, quand l’histoire défile derrière ses paupières closes et la réveille.

Volodymyr Sagaydak, directeur du centre social et de réhabilitation psychologique pour enfants Stepanivka, à Kherson, le 17 avril 2023.

Le 24 février 2022, Kherson, 280 000 habitants, est la seule grande cité ukrainienne immédiatement envahie par l’armée russe. A vrai dire, personne ici ne croyait au conflit, Volodymyr Sagaydak, directeur du centre de Stepanivka, pas plus que n’importe qui en ville. Il avait même une boutade toute prête quand on lui parlait de se défendre contre les Russes : « Ma femme est Russe, et je me défends très bien seul. »

Il vous reste 88.63% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Comments are closed.